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Droits d’auteur et œuvres générées par l’IA

Un tour d'horizon chez nous et ailleurs

L’émergence des technologies d’intelligence artificielle générative soulève des questions juridiques fondamentales concernant la propriété intellectuelle des œuvres qu’elles produisent. Ces enjeux se manifestent tant au niveau mondial qu’au niveau local suisse, avec des approches et des défis spécifiques à chaque échelle.

Enjeux mondiaux

Le défi fondamental de l’auteur non-humain

 

Le concept d’auteur tel que défini traditionnellement dans les législations sur le droit d’auteur repose sur un principe anthropocentrique : seul un être humain peut être considéré comme auteur d’une œuvre1. Cette conception pose un défi majeur lorsqu’il s’agit d’œuvres générées par l’IA sans intervention humaine significative2. Une résolution du Parlement européen souligne qu’il est “essentiel d’opérer une distinction entre les créations humaines assistées par l’IA et les créations autonomes de l’IA”3.

Litiges internationaux relatifs à l’entraînement des IA

Des poursuites judiciaires se multiplient à l’échelle mondiale concernant l’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement des modèles d’IA :

  • En Inde, l’agence de presse ANI a intenté un procès contre OpenAI, alléguant l’utilisation non autorisée de son contenu pour entraîner ChatGPT4.
  • Aux États-Unis, l’affaire Andersen v. Stability AI voit des artistes visuels poursuivre les créateurs de Stable Diffusion et Midjourney pour exploitation de leurs œuvres sans consentement5.
  • Dans l’affaire Kadrey v. Meta Platforms, l’auteur Richard Kadrey accuse Meta de générer du contenu ressemblant étroitement à ses œuvres littéraires originales6.

Ces procédures judiciaires révèlent une tension entre l’argument du “fair use” (utilisation équitable) avancé par les entreprises technologiques et les droits des créateurs originaux7.

Impact économique et émotionnel sur les artistes

Une étude récente met en évidence les préjudices subis par les artistes suite à la prolifération des générateurs d’images basés sur l’IA : dommages à la réputation, pertes économiques, plagiat et violation de droits d’auteur8. Au-delà des aspects purement juridiques, des recherches montrent que ces problématiques affectent négativement l’état émotionnel des artistes9.

Cadre juridique suisse

Principe fondamental : l’exigence de création humaine

En Suisse, la situation juridique est actuellement claire : le droit d’auteur ne protège que les œuvres créées par un être humain1011. La loi suisse sur le droit d’auteur (LDA) exige deux conditions fondamentales :

  • L’œuvre doit être une création de l’esprit (art. 2 LDA)
  • La protection n’est accordée qu’à la personne physique qui a créé l’œuvre (art. 6 LDA)12

Par conséquent, une œuvre générée exclusivement par l’IA, sans intervention humaine significative, n’est pas protégée par le droit d’auteur suisse13.

Approche pragmatique : l’IA comme outil

Sabrina Konrad, responsable suppléante du service Droit d’auteur à l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI), précise : “Lorsqu’une personne emploie [l’IA] uniquement comme un outil, mais qu’elle fournit l’effort créatif, alors le résultat peut bénéficier de la protection conférée par le droit d’auteur. La situation est comparable à un photographe qui se sert d’un appareil photo”14. L’élément déterminant reste donc le degré d’intervention humaine dans le processus créatif.

Régulation sectorielle et développements récents

Le 12 février 2025, le Conseil fédéral suisse a opté pour une approche sectorielle concernant la réglementation de l’IA15. Cette décision s’accompagne de la ratification de la Convention du Conseil de l’Europe sur l’intelligence artificielle1617. La stratégie suisse poursuit trois objectifs principaux :

  • Renforcer la Suisse en tant que pôle d’innovation
  • Préserver les droits fondamentaux, y compris la liberté économique
  • Renforcer la confiance de la population dans l’IA1819

Tensions et perspectives d’évolution

Critiques du cadre actuel

L’association Suisseculture a exprimé ses inquiétudes, estimant que “les créateurs et créatrices de biens culturels ne reçoivent pas de réponse adéquate concernant le traitement et la protection de leurs œuvres”20. Selon l’organisation, “dans le domaine numérique, les œuvres artistiques restent à la merci des entreprises technologiques”2122.

Questions en suspens

Plusieurs questions juridiques demeurent sans réponse définitive :

  • L’utilisation d’œuvres protégées pour l’entraînement des IA est-elle autorisée sans consentement préalable ?
  • Comment déterminer avec précision le seuil d’intervention humaine nécessaire pour obtenir une protection ?
  • Faut-il développer de nouveaux régimes juridiques spécifiques pour les œuvres générées par l’IA ?

Si le droit suisse s’est historiquement montré “suffisamment flexible et technologiquement neutre” pour s’adapter aux précédentes évolutions technologiques23, l’IA générative pourrait nécessiter des adaptations plus profondes du cadre juridique existant.

Pour les PME et organisations suisses utilisant ces technologies, il est crucial de suivre l’évolution de ce cadre réglementaire en construction, tout en veillant à documenter précisément l’intervention humaine dans leurs processus créatifs assistés par IA.


  1. https://www.lextechinstitute.ch/quelle-protection-pour-les-creations-de-lia/?lang=en↩︎
  2. https://www.ige.ch/en/blog/blog-article/kuenstliche-intelligenz-koennen-ki-tools-urheberrecht-verletzen↩︎
  3. https://www.lextechinstitute.ch/quelle-protection-pour-les-creations-de-lia/?lang=en↩︎
  4. https://techpolicy.press/generative-ai-and-copyright-issues-globally-ani-media-v-openai↩︎
  5. https://techpolicy.press/generative-ai-and-copyright-issues-globally-ani-media-v-openai↩︎
  6. https://techpolicy.press/generative-ai-and-copyright-issues-globally-ani-media-v-openai↩︎
  7. https://techpolicy.press/generative-ai-and-copyright-issues-globally-ani-media-v-openai↩︎
  8. https://www.semanticscholar.org/paper/7dbd3d51c453caf77cc1f9681f9b888095b97443↩︎
  9. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC11335679/↩︎
  10. https://www.ige.ch/fr/blog/articles-du-blog/kuenstliche-intelligenz-koennen-ki-tools-urheberrecht-verletzen↩︎
  11. https://www.ige.ch/en/blog/blog-article/kuenstliche-intelligenz-koennen-ki-tools-urheberrecht-verletzen↩︎
  12. https://www.lextechinstitute.ch/quelle-protection-pour-les-creations-de-lia/?lang=en↩︎
  13. https://www.lextechinstitute.ch/quelle-protection-pour-les-creations-de-lia/?lang=en↩︎
  14. https://www.ige.ch/fr/blog/articles-du-blog/kuenstliche-intelligenz-koennen-ki-tools-urheberrecht-verletzen↩︎
  15. https://www.ige.ch/fr/prestations/informations/actualites/news-details/ki-regulierung-schweiz-bundesrat-mit-sektoralem-ansatz↩︎
  16. https://www.sonart.swiss/fr/news/intelligence-artificiel-et-droit-d-auteur-1245/↩︎
  17. https://ssa.ch/fr/intelligence-artificielle-et-droit-dauteur/↩︎
  18. https://www.ige.ch/fr/prestations/informations/actualites/news-details/ki-regulierung-schweiz-bundesrat-mit-sektoralem-ansatz↩︎
  19. https://www.sonart.swiss/fr/news/intelligence-artificiel-et-droit-d-auteur-1245/↩︎
  20. https://www.sonart.swiss/fr/news/intelligence-artificiel-et-droit-d-auteur-1245/↩︎
  21. https://www.sonart.swiss/fr/news/intelligence-artificiel-et-droit-d-auteur-1245/↩︎
  22. https://ssa.ch/fr/intelligence-artificielle-et-droit-dauteur/↩︎
  23. https://mll-legal.com/wp-content/uploads/2019/12/2019-10_REMI_Copyright_in_artificially_generated_works.pdf↩︎

 

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